Bonjour,
Il n’est pas certain qu’il soit encore utile de le préciser, mais l’Amicale ne faisant pas partie des « lieux de première nécessité » à en croire la prose gouvernementale, nous nous voyons contraints de baisser le rideau à l’accueil du public et de repousser tous les événements prévus jusqu’à nouvel ordre.
Mais fermer nos portes n’équivaut pas à rendre les armes et nous pensons qu’il est plus que nécessaire de mettre ce temps à profit pour continuer à appuyer là où ça fait mal. Car une fois l’orage passé il ne faudra pas oublier que les raisons sont toujours aussi nombreuses de se révolter.
Contre les tenants du régime néolibéral d’abord, qui ont méthodiquement démonté l’hôpital public comme les soignants nous le rappellent chaque jour sans que rien ne se passe d’autre que des fausses promesses auxquelles plus personne ne semble croire vraiment. Il est certain maintenant que cette crise sanitaire serait vécue complètement différemment si les services de santé avaient pu disposer des moyens qu’ils demandent depuis des années pour l’affronter. Mais attention, il ne s’agit pas ici pour nous d’appeler à un retour en force de l’État-Providence, comme ce qui semble se produire, mais plutôt de rendre visible une fois de plus la réalité de ce qui guide les choix politiques depuis des années. Ce qu’on constate aujourd’hui c’est que l’État quelle que soit sa forme n’est pas à la hauteur de la situation. Nous lui avons délégué une grande majorité de ce qui concerne le domaine du soin tout en sachant que ce fonctionnement s’interrompt en partie en cas de crise en laissant un grand nombre d’entre nous sur le carreau. Comment penser que certains nécessitent au quotidien d’une aide à domicile, de soins médicaux psychologiques, de centres d’accueil, et que du jour au lendemain cela cesse d’exister parce que ce mode d’organisation n’est plus tenable dans un monde qui se replie sur lui-même ?
Contre ce gouvernement ensuite, qui visiblement savait l’ampleur du désastre à venir, retardant la prise de mesures conséquentes du fait de leur poids économique considérable, jouant ainsi avec la vie de milliers de personnes, contribuant à cette situation de saturation hospitalière, ce qui est impardonnable et dont il faudra se souvenir en temps voulu. Et ce gouvernement toujours, qui depuis une semaine ne fait rien d’autre que prétendre constater la soi-disant indiscipline de ses concitoyens pour prendre des mesures de plus en plus strictes, et va sans conteste profiter de la situation pour faire passer des méthodes de contrôle et de surveillance des populations qu’il s’agit dès à présent de refuser. A l’image de l’avancée inexorable de l’épidémie, ce qui se produit déjà en Chine, ou la reconnaissance faciale s’impose et s’adapte chaque jour aux nouvelles conditions sociétales (1), restreignant toujours plus les libertés individuelles d’aller et venir, ou en Israël (2) et en Italie (3), où l’on vient d’apprendre que les gouvernements utilisent les données des opérateurs de téléphonie pour collecter des données sur les localisations de leurs citoyens, est en train d’arriver ici. C’est en tout cas ce que laissent entendre les récentes déclarations de Cédric O, le secrétaire d’État au numérique : «Nous n'irons jamais vers le modèle chinois, c'est très clair. [Mais] la reconnaissance faciale peut apporter un certain nombre de bénéfices à la fois dans l'ordre public mais également dans la gestion de maladies». Comment ne pas s’offusquer déjà d’un gouvernement qui laisse des gens aller travailler sans garantir les protections sanitaires minimales et dans le même temps prétend en empêcher d’autres de se rendre à un enterrement ? Comment qualifier, aussi, un gouvernement qui assure prendre des mesures pour protéger ses citoyens et continue de mettre en danger, volontairement, ces populations les plus exposées que sont les détenus et les réfugiés (4) ?
Se révolter urgemment contre cette façon de vivre, enfin, qui parce qu’elle persiste à mettre l’humain au centre de tout dans un gigantesque ego trip, se prend un formidable retour de bâton du vivant qui se défend en produisant un virus qui fait fi des frontières et des classes sociales. A ce sujet, la lecture du Monologue du Virus : https://lundi.am/Monologue-du-virus nous semble témoigner de cette idée que ce virus est surtout la conséquence de décennies de décisions politiques planétaires abjectes et dangereuses. Nous vous laisserons juger de l’aspect certainement moralisateur du ton employé, mais nous pensons que ce texte a pour grand mérite de venir opportunément transformer une peur aveugle et extrêmement angoissante, celle de devoir se prémunir contre un ennemi microscopique qui s'introduit jusque dans l'intimité de nos corps propres, en une détermination puissante à lutter contre les conditions capitalistes qui ont permis son cheminement jusqu'à nous et à accepter cette nouvelle séquence qui s'ouvre comme une période pleine de potentialités qu’il va falloir se réapproprier.
Aujourd’hui la machine est presque à l’arrêt donc, et chacun peut constater que la vie continue, pour certains aspects en mieux : l’air est dépollué, le temps libéré. Nous croyons que l’occasion est à saisir pour se débarrasser opportunément des oripeaux détestables de la vie capitaliste et de suivre ainsi la pensée de Marcello Tarì, auteur italien que nous vous inviterons bientôt, sous de meilleurs augures, à venir rencontrer à l’Amicale : « Car s’il existe une chance de vaincre le capitalisme, c’est précisément celle qui consisterait à ralentir la temporalité […] et ainsi libérer un espace de l’envoûtement de la marchandise, faire tomber l’hypocrisie des relations sociales, neutraliser la magie noire qui nous tient à la gorge à travers l’économie politique de la vie ». Nous y sommes ! »
Rester confinés ne doit pas nous empêcher de penser !
À très vite à l’Amicale ou ailleurs, avec enthousiasme et détermination.